Tororecuerdo
J’y ai pensé tardivement.
Fixer le souvenir des corridas de toros auxquelles j’ai assisté, tenter d’en brouillonner les impressions à vif avant qu’elles ne s’estompent. Ecrire pour lutter contre les aléas de la mémoire, s’extraire de la science sèche des revisteros, résister aux avis péremptoires de l’entourage ou prévenir les anachronismes de bonne foi.
Ecrire, comme d’autres prennent des photos ou collectionnent des vidéos. pour retenir illusoirement le temps qui passe, conserver trace d’un moment d’émotion sans répétition ni réédition possible.
Mais alors s’efforcer d’écrire le tout : la fête, l’enthousiasme mais aussi la routine et l’ennui. Les agacements, les « olés » à hurler debout ou le mutisme exaspéré, la tête entre les mains. Ce toro qui fléchit, cet autre décasté, la banda qui joue ou le silence qui soudain se fait, les « bien » ronronnés à Séville ou les objections du tendido 7 à Madrid, mes belles arènes de Nîmes, le matin écrasées de soleil, ou la voluptueuse torpeur de La Malagueta au mois d’août.
Ecrire pour pouvoir se relire surtout. Se relire cinq ans après, dix ans plus tard, vingt s’il se peut.
Honteux, peut-être, d’un engouement de jeunesse ou de prophéties éphémères, mais le nez dans ses émotions d’alors, comme la preuve aussitôt notariée, et quelquefois embarrassante, d’un goût qui change ou qui s’aiguise, d’un retournement, d’une lassitude, d’une reconnaisssance tardive, d’une belle fidélité ou d’une trahison.
Bref, une histoire de passion qui me tient depuis vingt-sept ans et que je me suis décidé à consigner depuis 2005, comme on le fait d’événements dans un journal intime, incertain de leur portée, mais attaché à leur faire une place, comme à un sentiment suspendu à l’exercice solitaire de l’écriture.
A mes amis d’après-midi de toros que j’ai pris le parti de n’évoquer jamais alors qu’ils m’ont tant appris et si souvent diverti avant, pendant ou après la corrida, je dédie ces chroniques d’un amateur.
Paris/Franquevaux.
Joël Boyer