Nîmes, vendredi 18 mai- Partido de la Resina/ Rafaelillo, Thomas Dufau, Juan Leal
Présence et beauté du toro. Voilà qui nous change ! Six nuances de gris, du trapio, des cornes (le 1 et le 6 cornivueltos). On se croirait à Madrid et cela change tout. Des toros exigeants ( sauf le 5 sans intérêt), généralement fuyards et mansos ( sauf le 6ème), certains con genio, dont deux poussent fort aux piques (le 1 et le 6, les deux plus beaux).
Pas des toros à roulettes, des toros qu’il faut apprivoiser et dominer à la fois, qui regardent l’homme et qui balancent la tête, qui rechignent à humilier comme l’on dit. Tout sauf le prêt à toréer dont on nous abreuve depuis des années. En piste, prohibition du toreo de salon. Six équations à résoudre. Un régal pour l’aficionado, attentif comme les hommes en piste : « a cada toro su lidia ». Por fin !
Les ex Pablo Romero ont tenu leur rang sur cette côte qu’ils remontent. Pas des foudres de guerre, une nette absence de bravoure ce jour, un manque de moteur sur la durée, mais une présence qui en impose et qu’il faut maîtriser.
Rafaelillo n’a pas démérité sur le premier, un os qui relève la tête au premier tiers de passe et qui l’avise sérieusement à droite. Faena à l’ancienne, pleine de métier, qui rappelle l’Espla des jours sans inspiration, conclue par une épée merveilleuse mais non concluante suivie d’une pénible pluie de descabellos. Cape puissante et dominatrice sur le quatrième, avant un désastre de lidia tant aux piques qu’aux banderilles. Le toro ne passe pas du tout à droite, ce qui contraint le torero à une faena gauchère, faite de jets reptiliens de naturelles qui font passer le toro loin de l’homme, sans souci de dominio. Pinchazo. Entière. Silence.
Thomas Dufau a accueilli son adversaire par cinq largas cambiadas de rodillas, où le toro serre de plus en plus. Thomas en veut et c’est beau à voir. Très belle entame en citant depuis le centre, puis en embarquant le toro en se croisant beaucoup sur les deux premières séries. Torero sérieux, appliqué, une tête bien faite, un brin de nervosité en cours de faena, le métier manque, mais il se reprend par une jolie composition de molinetes suivis de naturelles par deux fois recommencée avant de conclure par malonetinas. Pinchazo, épée efficace. Vuelta méritée pour un trasteo sans doute inachevé. Mais l’impression est bonne. Le cinquième était le plus médiocre, un manso décasté qui n’en faisait qu’à sa tête, sans grand intérêt. Le torero a gardé la tête froide et n’a pas perdu les papiers. C’est déjà beaucoup.
Juan Leal m’a épaté. Planta torera (verticalité, le bras contraire vite levé au ciel pour citer son toro, un rien de Dominguin dans l’allure), envie manifeste d’être là, souci de variété aux quites (gaoneras exposes mais pas jolies jolies d’exécution tant il sacrifie à la position sur le 2ème de Dufau, zapopinas compliquées sur le 3ème), de très beaux gestes à la muleta. Entame de faena par spectaculaires passes du cambio en citant de très loin, puis deux très grosses séries de la droite, la main basse, très templées avant de réduire les terrains et d’asphyxier un peu son adversaire, non sans aguante, jetant les armes à terre et jouant à cuerpo limpio entre les cornes. Un très vilain bajonazo mais porté avec cœur, le torero littéralement allongé sur le toro, le prive de trophée. L’oreille sera sur le suivant, le meilleur du jour : pas fuyard pour un sou, qui s’intéresse à tout, vient avec puissance aux piques, renverse la cavalerie, y revient mais alors sans pousser, que Juan Leal a su entreprendre et entretenir sous de grosses gouttes de pluie qui m’ont fait fuir avant la fin. Une oreille.
Je sors de cette corrida content : Place aux toros qui ne sont pas nés pour servir ! Et place aux jeunes qui ont envie de gagner la leur en espérant faire leur affaire de ce qui sort en piste.
Samedi 19 mai- Juli, Castella, Andy Younes/ Garcigrande
Arènes pleines pour ce classico dans une ambiance d’enfer. Devenue assez rapidement étrange avec des rondes de militaires en armes autour des arènes, un hélico bruyant au-dessus de nos têtes, une manifestation anti-taurine à nos portes et l’ami Rudy qui tente de couvrir les « Assassins, Assassins » du dehors par une Marseillaise du dedans, guerrière, amère et au fond assez impuissante. Dernier cri de forteresse assiégée. Fracas de Falloujah (Irak).
La guerre était donc dehors. Car pour le dedans, il faudra repasser. Une corrida affreusement anovillada, sans trapio, sans cornes, sans pique, à l’exception peut-être du 5 qui, pour avoir un peu un comportement de toro, passera pour incommode.
Castella, en forme, gagnera haut la main ce « Danse avec les stars », injonction ici adressée à l’innocent bétail sorti en piste.
Début de faena sur le 2ème à genoux. Pas du tout par défi, mais pour se mettre à hauteur de son adversaire. Très grosse série toréée et templée, que la moitié du torero donne à cette moitié de toro, qui porte sur le gradin. Castella saura entretenir le feu avec de beaux gestes face à un « toro » dont la belle mobilité avec codicia fait pardonner l’ innocence : changements de main souverains, grand temple la plupart du temps, main basse quelquefois, le petit tunnel en milieu de faena comme souvent avec Castella puis un final impressionnant, quoique à contre style de son « adversaire » qui en avait encore beaucoup sous le sabot, sur un terrain réduit, d’une douzaine de passes sans bouger (tres en uno, redondo à l’endroit et à l’envers) qui asphyxie le toro. Belle épée à effet lent. Deux oreilles pour cette faena pleine d’aisance, où le torero s’est borné plaisamment à jouer le faire-valoir avec sûreté et aguante mais sans vrai poder ni arte. Dans deux jours, on ne se souviendra plus de l’ouvrage.
Du second non plus, au demeurant, un andarin sans grande classe mais mobile, auquel Castella ne s’accorde pas en dépit de ses efforts dans une très longue faena, ou les palmas suppléent la musique qui, à très juste titre, tarde à jouer : enganchones à gauche, trois pas de replacement à chaque passe à droite pendant que des éclairs zèbrent la piste sous un ciel noir où gronde le tonnerre. Seule une entame de faena pleine d’originalité, de fantaisie et de toreria nous comble : des aidées par le haut, à genoux, de très grande beauté. Entière. Deux avis. Deux oreilles. C’est sans doute la récompense de la bonne volonté.
Andy Younes, ce jeune homme au visage d’enfant qui défile au paseo en lançant drôlement les jambes en avant dans des ondulations de ballerine, a su profiter des toros choisis pour ses compagnons. Joli faenita sur son premier, anovillado et brocho, avec trois ou quatre derechazos étonnants de temple et de profondeur (« muy hondos »), puis un final en réduisant le terrain, mais lui, à la différence de Castella, par ce que son torito, vite éteint, n’avait plus rien à donner. Oreille et même oreille sur son second, combattu sous la pluie pendant que j’étais au bar des arènes.
Juli, comme nous, a succombé à l’ennui et à l’anodin de son lot.
Pénible impression de lassitude taurine tout le long de l’après-midi où seuls de joyeux hommages aux joueurs de Nîmes Olympique, par chants de stade des Costières repris par tout l’amphithéâtre, nous a un peu animés.
A propos de foot : je songeais en voyant ces toreros punteros, de haut de classement et de si grand métier, face à ces « Garcigrande » sur mesure mais si peu à l’échelle, à la Coupe de France 2018. Mais le PSG/Les Herbiers procédait d’une inattendue sélection sportive avec sa part d’alea. Que dirait-on du PSG s’il choisissait son match et pour nous en offrir un de qualité de combattre Les Herbiers ? Croyez-vous que le stade serait plein ? Dans le mundillo, nous en sommes là. Je crois que je vais m’abonner au Stade des Costières.
Nîmes, lundi 21 mai- Thomas Joubert, Roman, Alvaro Lorenzo/ Jandilla
Affiche pour les élus. Ceux qui savent voir et qui espèrent encore. Pour moi, une perfusion d’aficion.
Un cartel de jeunes, de la nouveauté, des personnalités.
Un lot de toros un brin faible, mais correctement présenté, à des lieux des affligeantes corridas de samedi et dimanche, sauf le 3ème anovillado et invalide que mon ami et voisin de rang est quasiment le seul à protester mais cela suffira à l’avisé président du palco, el senor Burgoa, qui sort sans tarder le mouchoir vert, avec un puissant 5ème, deux bons 2ème et 3ème bis, et un 6ème manso quasiment perdido qu’il faut résoudre. Tous avec de la présence et, sauf sans doute le 4ème épuisé par le tercio de piques, du moral et du moteur.
Et l’inouïe manière d’être de Thomas Joubert en piste, torero sans contrat ou presque, qui est entré dans le cartel pour cause de blessure de Paco Urena et qui a irradié toute l’après-midi de sa présence.
Tout chez ce torero irradie de toreria. Son allure (visage profilé, verticalité altière, économie de gestes, lenteur des mouvements), le soin apporté à toute chose (le sitio, l’attitude, le geste, la passe), l’intériorité surtout car il n’y a chez ce torero aucune artificialité, aucune mise en scène de soi, aucun souci de pasticher Manolete auquel on songe évidemment. Son toreo est dense, inspiré, sacral. Terriblement cérébral. Profondément philosophique. Version orientale : taoïste. Ou Antique : le stoïcisme. Nul chiqué dans cette manière d’être. La conviction que le toreo n’est ni toro ni torero. Le toreo est un tout. La « plénitude du vide » disent les Chinois. L’ « essence » des choses, disons-nous plutôt de ce côté du monde. Une recherche absolue de pureté. Et tant pis si les chemins sont escarpés.
Et que l’on ne me parle pas des incidents qui émaillent quelque fois ses faenas, enganchones ou décrochés de muleta ! Les premiers sont ceux d’un José Tomas, le prix à payer à l’exigence de tenir la position, sans concession ; les seconds ceux d’un torero sans contrat qui manque d’expérience. Mais ces incidents comme le reste le laissent de marbre. Thomas Joubert n’est pas torero à prendre le public à témoin de telles vicissitudes ou maladresses. Comme du reste, il n’a qu’une philosophie : trouver le chemin. Et porter le toreo à sa juste place. Au plus haut, au plus profond. Pas pour lui-même. Mais pour que resplendissent enfin à nouveau les splendeurs d’une passion commune, aujourd’hui désacralisée, outrageusement stéréotypée, terriblement communicante, qui se satisfait de vivoter dans des arènes à demi-vides, sous les sarcasmes des anti, sans songer-même à une renaissance possible, tant elle a commencé à plier bagages en ne privilégiant que des vétérans qui cadenassent les cartels, et des petits jeunes qui leur ressemblent, en moins bien ( Roca qui vous savez au premier chef, pur produit marketing du mundillo).
Thomas Joubert pourrait bien être la comète tant attendue qui viendrait fracasser la planète des toros : comme l’ont été Paco Ojeda dans les années 80 ou José Tomas dans les années 2000. C’est un torero qui a tout- TOUT- pour remplir des arènes à nouveau. L’anti-modernisme au premier chef. Sincérité, authenticité, profondeur. Si on lui donne un peu sa chance.
Sur son premier, après un quite de très grande allure, une entame de faena par passes de banderas se terminant par aidées par le haut de toute beauté conclues d’un pecho souverain, suivie d’une série droitière, lui vertical, très relâché, la main basse, un temple inouï. En deux séries, deux : plus que ce que toute la féria nous avait donné ! Faena entretenue, toute de densité avec quelques maladresses anodines au regard de ce qui nous a été offert. Pinchazo, entière. Oreille.
Accueille son second du centre de la piste, dos au toril, dans une entame d’une expressivité folle. A la muleta, il s’agenouille comme on fait pénitence pour servir des derechazos et une arruzina toujours à genoux, à faire flancher les cœurs les plus aguerris. Une série de trois naturelles, puis ça baisse un peu d’intensité, avant un bouquet de naturelles de face, égrenées face à un toro qui hélas s’éteint, le tout dans une lenteur un peu cotonneuse, rendant la scène irréelle. Ce toro avait été mis en valeur aux piques lors de la seconde rencontre, cité de très loin et venant avec codicia. C’était beau mais plus qu’il n’en pouvait supporter. TJ (tiens c’est drôle ce JT à l’envers…) le paiera en deuxième moitié de faena (Saludos).
En dépit d’une incontestable bonne volonté, Roman m’a paru pégapasse sur son premier, toréé à la voix, avant une conclusion dans un terrain réduit puis des bernardinas inutilement exposées. Mete y saca, entière parfaite, descabello (saludos). A cité de loin le 5ème, qui avait beaucoup de gaz, mais s’est monté très en dessous de ce toro qui était le meilleur du jour.
Alvaro Lorenzo m’a également laissé sur ma faim devant son 3ème bis, toro vif et à réduire. Il n’y est pas parvenu en dépit d’une tête que l’on sent bien faite. Sa démonstration de tête, Lorenzo la fera d’excellente manière devant le manso quasiment perdido sorti en dernier qui passe la tête dans le tissu puis s’en va. Mental, technique, obstination, Lorenzo lui arrachera une faena introuvable d’immense mérite (une oreille).
Un quart d’arène, hélas, avec un Burgoa à la présidence toujours infaillible. Ce miracle d’aficionado au palco devrait présider toutes les corridas nîmoises, si nous souhaitons collectivement sortir du marasme.