Et une semaine après, la féria des Vendanges nîmoises, ça donne quoi ? Reconnaissons-le, pas grand chose à quoi accrocher des souvenirs ou des émotions.
Une corrida sérieuse, le vendredi 13 septembre, avec des toros de la ganaderia française Margé, très bien présentés, en type et en cornes, face à des toreros estimables qui ne nous ont pas transportés. Curro Diaz, que l’on aime, a eu les gestes que l’on attend de lui, quelquefois raide et oblique sur son toro, quelquefois relâché, la plupart du temps trop lointain ; c’est à la fois savoureux et sans grand impact (silencio, saludos). Daniel Luque nous a privés de ses jolies manières au capote, sauf sur son premier adversaire par deux véroniques et une demie superbe, comme évaporée entre ses mains, et a su nous faire goûter, par intermittence plus que par construction, ses belles manières à la muleta avant de terminer par ces luquesinas qu’il inventa et qu’il nous inflige, comme Ponce ses poncinas, à la fin de chacun de ses combats, ce jour le corps cassé en deux et sans souci de fluidité (oreille et oreille). Daniel Luis Adame, qui crie moins que son frère, a été le plus mal servi. Il a fait montre d’une grande aisance sur son premier dans une faena au-dessus de son adversaire (saludos) avant de devoir s’accommoder d’un dernier un peu faible.
Corrida de gala annoncée le samedi après-midi (Garcigrande/ Castella, Manzanares, Perera) : toros anodins, arènes pleines, présidence outrageusement généreuse et sans critère, mais il fait beau et chaud et Nîmes se régale pendant que les aficionados rongent leur frein en voyant les mouchoirs de toutes les couleurs qui tombent comme à Gravellotte du palco. Encore que Gravelotte est le nom d’une bataille et que de bataille ce jour, il n’y eût point. On honora la dépouille d’un toro et on en gracia un autre (le lot de Miguel Angel Perera) dans un tumulte d’applaudissements et de protestations mêlés. Il est vrai qu’à relire mes notes je m’avise, s’agissant du toro gracié, avoir écrit « toro anodin fléchissant et se couchant sur le flanc » puis, lors du tercio de piques « 2 petites piques, le toro se défend de la tête » ce qui ne caractérise pas nécessairement un animal hors du commun. Mais hors du commun reconnaissons qu’il l’était par sa noblesse exempte de soseria, son goût du jeu, sa classe dans la muleta. Un gosse bien élevé dans un jardin d’enfants qui fait la fierté de ses parents.
Le plus intéressant chez Manzanares, c’est quand même son allure, sa grande allure et qu’il soit beau à ce point. Sa classe quand il cite son adversaire sans un frémissement de muleta, quand il temple de la main droite, quand il change de mains dans un geste d’une ample arogance et quand il fait le pecho, ces passes de poitrine interminables et enveloppantes qui sont sa marque. Mais le plus émouvant, ce n’est pas cela. Quand tant d’aficionados soupirent à le voir toréer dans l’artifice d’une trop grande distance toujours maintenue avec sa bête, recherchant la pose si continûment qu’aucun relâchement n’est jamais à espérer, le plus émouvant c’est quand même sa décision à l’épée, sa pratique du recibir, même sur des adversaires à contre- style, sa délectation, même en cet instant dit « de vérité », de se donner à voir, et l’exécution souvent parfaite de la suerte. Comme si, à la fin, tout de même, il fallait estomper le muscadin en lui et remettre les pendules de la virilité à l’heure, pour que nul n’en n’ignore. Cet instant, ce jour, fut très réussi sur son premier et moins sur son second.
Sébastien Castella et Miguel Angel Perera ont deux tauromachies semblables, faites d’aisance, de verticalité, d’aguante, et de porfia, cette réduction drastique des terrains en fin de faena où l’on se joue du toro avant d’en terminer. Mais tandis que Castella recherche quasi-exclusivement la fluidité de la passe et l’impact sur le public -c’est souvent très joli et réussi, on a l’impression d’un petit page jouant avec la brise- Perera, lui, torée sans jamais oublier de peser sur son toro. Plus centré, plus dans le terrain, la jambe davantage exposée dans le sitio, son toreo est en vérité plus puissant et plus dominateur. Je me souviens d’une expo-photo dans les coursives de Las Ventas, les arènes de Madrid, sur les corps blessés des toreros : les clichés donnant à voir le corps de Perera balafré, recousu, des cicatrices comme toiles d’araignée sur la peau étaient impressionnants. Bien sûr, sa grande taille estompe beaucoup l’impression générale de puissance de de ses gestes techniques et de son courage. Elle explique que son cartel se situe un peu au-dessous de celui des autres figuras. La nature est ainsi faite, toujours un peu injuste.
Ce fut cependant pour lui une après-midi de gala, face au meilleur lot. Et sur son dernier, bien sûr, où il s’imposa d’emblée dans le terrain avant de raccourcir les distances pour ojediser comme le maître, sans jamais bouger la jambe qu’il laissait traîner dans le sitio ni broncher en servant neuf ou dix luquesinas enchaînées, lui droit comme un i, rentrant seulement quelquefois le ventre au passage des cornes.
Une partie majoritaire du public lui interdit plusieurs fois de de lever l’épée, voulant préserver de la mort ce si brillant partenaire. Il fut ainsi décidé dans une fiévreuse polémique (une oreille et deux oreilles et la queue).
Le dimanche matin de quasi-canicule fut fort pénible pour tout le monde. Les Vitorianos del Rio, convenablement présentés pour Nîmes et quelques uns les cornes en pointes, réservèrent quelques surprises de comportement. Mansos, jouant un peu de la tête, humiliant mal, pas « classes » du tout pour nos artistes ! Ponce fut le seul à tirer très brillamment son épingle du jeu en ne laissant pas passer un affreux manso con casta qui est sorti à petits pas avant de déambuler en piste et de poser la tête sur la talanquera comme d’autres sur le billot, dans une scène à fendre l’âme aux aficionados les plus aguerris. Mais le toro poussa beaucoup au tercio de piques et déploya enfin son jeu aux banderilles. Le maestro qui sait qu’à « cada toro su lidia » fut à son meilleur. Volonté, décision, savoir-faire, technicité, intelligence face à ce toro encasté et dangereux qui donne un très méchant coup de tête en fin de passe. Ponce ce jour ? Un Maître ! Et une leçon souveraine conclue d’une belle épée. La caste interdit au toro de se rendre trop vite puis, ceci fait, Ponce entretint le feu en restant de longues minutes au centre du ruedo, tête baissée, sachant prolonger les applaudissements, avec cette fausse humilité de qui se sait très largement au-dessus de la mêlée (oreille).
Paco Urena, retour de blessure, a fait ce qu’il a pu face à son lot. Des véroniques très lentes sur son premier et une très belle dernière série à la muleta, de main gauche, les jambes écartées, après une faena de hauts et de bas où on l’entendit murmurer un inattendu « puta madre » au toro qu’il tentait d’apprivoiser…Urena fut peu sur le reculoir sur le suivant, désappointé de ne pas entendre la musique qui accompagne les jolies faenas, alors il la demande d’un vulgaire coup de menton en direction de la banda Chicuelo II, ce qui, assez curieusement, conduisit la présidence à satisfaire à son caprice, comme s’il s’agissait de saluer une bonne manière…
Le gros échec de cette matinée fut Pablo Aguado, débordé et dépassé par son premier adversaire, et qui fit quelques gestes sur le suivant. Sans convaincre. Compte tenu de sa cote d’amour, chacun a fait mine de ne pas s’en alarmer.
On a conclu le dimanche après-midi avec des Fuente Ymbro de seconde catégorie face à un Lopez Simon appliqué mais très en dessous de son premier et un Gines Marin entre le transparent et l’estimable.
Juan Leal, en revanche, a confirmé tout le bien qu’on pense de lui devant ses deux toros. Qu’il torée debout ou à genoux, il le fait toujours dans le sitio et avec le ventre de la muleta. Ce type n’est certes pas un artiste, mais il torée. De verdad. Contrairement à ce que suggèrent les fines bouches de mon entourage, sa valeur n’est pas seulement le courage. Celle qu’il choie le plus, celle qui nous transporte, celle qui fait la grande différence ente ce jeune torero et beaucoup d’autres, c’est cette volonté de ne jamais tricher. Bien sûr, il est à craindre qu’à cette allure, il apprenne cela assez vite. Mais pour l’heure c’est sans tricher qu’il déploie son toreo, un toreo qui pèse, qui peut raccourcir les distances pour rechercher l’impact tremendista, mais qui sait aussi lier les passes, trouver le rythme, inventer des enchaînements inattendus. Et qui n’est pas à mille lieux d’un Roca Rey d’il y a deux ans. C’est tout le mal qu’on lui souhaite.
Un mot enfin : (1) les décisions présidentielles ont tout au long du cycle, à la seule exception de la corrida du dimanche matin, présidée par Laurent Burgoa, suscité, au delà de la polémique, l’abattement de ceux qui viennent le plus fréquemment aux arènes ; (2), les petits sorteos-programmes généralement distribués à l’entrée des arènes sont inexistants ou introuvables à Nîmes ; (3) à la différence de quasiment toutes les arènes de première catégorie, quand on les trouve, on s’aperçoit que les noms des piqueros et peones n’y figurent pas comme si ces toreros ne comptaient pour rien et qu’il importait que le public les identifie ; (4 ) aucune procédure expédiente n’est prévue pour faire rapidement rentrer au toril un toro récusé en piste, ce qui nous a valu une scène affligeante lors de la dernière corrida, un peon devant s’en débrouiller avant que le maestro, toujours dans l’attente du sobresaliento, ne soit requis d’achever le toro en piste (Gines Marin), ce qui fut fait en l’espèce avec blessure du puntillero.
Après tant d’heures de gloire, cette arène paraît désormais abandonnée à elle-même. L’heure d’une renaissance serait-elle venue ?