Il arrive que des toreros passent à côté de leur après-midi ; cela peut aussi arriver aux spectateurs. C’est ce qui m’est advenu, en ce jour de Victorinada.
Bien sûr les toros étaient splendides à leur sortie du toril, à l’exception peut-être du 1er et du cinquième, un peu efflanqués, sans grand trapio.
Bien sûr, le premier, qui chassait horizontalement dans les rebords de cape en refusant de passer, puis, à la faena, ne fixait que les mollets de l’homme et le deuxième, un « merveilleux » toro, con peligro, se retournant comme un chat, d’un danger permanent avaient-il les caractéristiques de l’encaste : des durs à cuire, méfiants, exigeants, à la charge irrégulière, de vrais adversaires teigneux.
Mais dussé-je me mettre toute l’aficion à dos, je n’ai pas vu de « grand toro » ; les suivants avaient un grand fond de noblesse, certes un peu acide, et quelques mauvaises manières, qu’on les oblige trop ou pas assez, mais ils m’ont paru manquer de présence dans les tercios, à l’exception des banderilles (Mehdi Savalli et Marco Léal de la cuadrilla de Clémente furent parfaits, y compris de brega, et Marco Sanchez planta une paire gorgée de toreria sur le sixième), de présence et de …. caste. Des combattants, certes, qui exigeaient tout le savoir-faire et l’attention des hommes, mais qui manquaient de « densité ». Que retenir des tercios de piques ? On les met en suerte et on les cite, ils viennent mais, qu’ils poussent ou ne poussent guère, il y avait quelque chose d’un peu mécanique dans leur jeu, rien de grandiose. Et à la sortie, si chacun évoquait la très bonne tenue des toreros français, aucun toro n’était l’objet des conversations. Sans doute le soso, sorti en troisième, a-t-il un peu plombé mon après-midi. Et il a fallu que j’attende le sixième pour me refaire un peu.
José Garrido, qui abrégea le combat que son premier ne voulait pas mener, s’est un peu refait sur le suivant, sorti en quatrième, venu trois fois aux piques sans histoire ni façon, noble, con gaz, et un peu tardo. Je l’ai trouvé très en dessous de ce bel adversaire dont la mort, assez spectaculaire, le toro, l’épée fichée au 2/3 dans le corps, se ruant sur le torero dans un ultime assaut avant de s’effondrer à ses pied, lui a décroché une oreille en récompense. Le tout m’a laissé froid.
Clémente, lui, a su bellement tirer son épingle du jeu. Face au deuxième, très dangereux, à la véronique d’abord : trois véroniques centrées, puissantes, très toréées, avant que le toro ne proteste en se retournant comme un chat sur l’homme, qui parvient à le conduire au centre sans rompre. C’était très beau. En confiance, Clémente offre son combat au public. Et quel combat, mazette ! On le voit, après quelques séries d’approche, parvenir à allonger le bras au-delà de la ligne que les vices de son adversaire lui interdisaient de franchir, puis dans une série suivante, obliger son toro de belle manière. Mais ce sont surtout deux séries alternées de main gauche qui mettent l’eau à la bouche avec dans chacune, une ou deux naturelles miraculeuses de tracé, tout à fait inattendues face à un tel adversaire. L’échec à l’épée le prive de trophées (saludos de verdad).
Il réitère au combat suivant, par une main gauche très sûre et un final par naturelles de face de grand impact. Epée un peu tombée (deux oreilles qu’on ne lui chipotera pas mais qui ne valaient qu’une). Le métier, la technique et la manière surprennent : normal, on ne voit guère ce torero, un transfuge du Sud-Ouest, dans les grandes arènes, on se demande bien pourquoi…
Une fois encore Adrien Salenc, désormais Adriano, m’a épaté par sa tête froide, sa grande sérénité et ses idées claires. Appelé au dernier moment, ensuite de la défaillance d’un compagnon de cartel, pour paraître à Arles, depuis le Pérou où la rumeur le fixait, il m’a une fois de plus conquis. Voici un Nîmois que nul ne tient pour tel, car il n’est le fils, le neveu ou le filleul de personne. Les Nîmois n’aiment les Nîmois que de leur connaissance, de leur monde, de leur milieu. Et blâment, sans doute, l’entre soi ou le communautarisme… des autres. Sans se souvenir de la parabole de la paille et de la poutre….En aficion au moins, l’ascenseur social doit être un monte-charge !
Son premier combat, devant le soso troisième, dépourvu de transmission, n’a pas été bouleversant, en dépit d’un très joli quitte par paronnes et d’une belle demi, de sa toreria à l’entame de faena et d’une ou deux trincheras de très belle facture. Un peu trop décentré, il tarde à citer le toro, certes fade mais qui ne vient que si l’on se croise. Echec à l’épée (silencio).
Mais Adrien s’impose, dès les passes de réception à la véronique sur le dernier du jour, sans doute le plus intéressant pour le torero, quoique tardo et un peu andarin – au fond assez peu Victorino si l’on y réfléchit-, qu’il parvient à améliorer sur les deux rives. Se grandissant en grandissant son toro, au vrai plutôt noble et médiocre. Le tout est propre, léché, très technique et de bon goût. Très belle épée qui lui décroche les deux oreilles que je me souviens avoir réclamées, là où une aurait sans doute suffit.
Mais c’était la dernière et, ne le dites à personne, je m’étais un peu ennuyé du tout après le combat de Clemente contre le deuxième.