Arles, vendredi 10 avril 2009, mano a mano Juan Bautista / Sebastien Castella devant des Domingo Hernandez mal présentés, aux armures courtes et commodes sauf le quatrième, noblotes dans l’ensemble, très noble le dernier.
Première corrida de la saison : tout fait profit, depuis la senteur de glycines près du théâtre antique sur le chemin des arènes, jusqu’à ce ciel gris déchiré de nuages. Froid et grand vent. Le public est vêtu de sombre mais peu importe, c’est la première corrida de la saison et on est heureux.
Les gazettes ont su vendre ce mano a mano qui remplit les arènes : ces deux toreros français s’entendraient mal et n’auraient jamais toréé ensemble ; ils ont accepté de se confronter ce jour et ce combat sonnerait l’heure de la réconciliation…
Il est vrai que Sebastien Castella, tout à la construction de son cartel, ne s’entend pas bien avec grand monde. Ses triomphes à Madrid en 2006 ont nourri un orgueil dans lequel il s’est isolé, s’éloignant de ses camarades auxquels il se compare peu et rompant avec ses apoderados, lassés d’exigences financières qui éprouvent leur crédibilité dans le mundillo. Une terrible blessure à Cali durant la saison hivernale, une année 2007 en demi-teinte. Le retour de José Tomas et la montée en puissance de Perrera l’ont bousculé dans ce terrain où il officiait seul et où il a commencé à douter. Evidemment, l’année 2008 fut difficile, comme ce seul contre six nîmois, où, à force de volonté et moyennant un septième toro, il arracha une porte des consuls qui ne voulait pas s’ouvrir.
Bref, il en est là désormais : actuer avec Juan Bautista comme avec un égal!
La réconciliation manque de beaucoup de choses. De toros, d’abord, qui pourraient donner son prix à la competencia. D’une présidence qui devrait savoir ce que juste trophée veut dire ( les deux oreilles au premier de Juan Bautista n’ont absolument aucun sens). Et d’amicale camaraderie, enfin, car de camaraderie, il n’y eut point.
Certes, Juan Bautista appelle-t-il Castella à le rejoindre sous les applaudissements de la foule aussitôt après le paseo. Certes, le même dédiera-t-il la mort de son cinquième à son compagnon de cartel – et la dédicace sera longue, longue, mais à peine ponctuée d’une froide poignée de main. Certes, tous deux sortiront-ils en triomphe, également récompensés de trois oreilles chacun.
Mais, la competencia au quite dira le reste. Dès le premier, Castella ira au quite sur le toro de Juan Bautista après la deuxième pique.Juan Bautista, sans doute piqué au vif, voudra répliquer, en donnant d’autres passes de cape à son toro et ainsi de suite pour tous les toros, sauf le dernier que Castella laissera aux mains de Morenito de Nîmes, le plus durable sobresaliente de tous les temps.
Aller au quite sur le toro de son compagnon de cartel relève de la juste competencia, cela suffit à rendre le public juge puisqu’ainsi chacun des toreros aura donné des passes de cape au même toro. Mais y retourner après que son compagnon eut donné des passes… De quoi s’agit-il ? D’avoir le dernier mot, certes mais au mépris du public -qui a déjà vu les deux toreros à l’oeuvre- et surtout au mépris du toro qui, faible et de peu de caste, est loin de pouvoir tant en supporter! Juan Bautista aura inauguré l’affaire et Castella lui rendra la pareille. Ce “jeu” de teigneux est dépourvu de vraie toreria et n’aura donné à voir qu’une rivalité de mauvais garçons au péril de ce qui restera a toréer de muleta..
Notons que Castella aura cependant été supérieur d’exécution à chaque fois. Chicuelinas serrées et suaves au premier ; enveloppé dans sa cape, tenue dans le dos, il déploie un pan dont il s’était recouvert dans un geste à l’envers -il ouvre le bras face au toro qui passe- donnant la sortie lentement au fauve, au troisième ; gracieuses gaoneras au cinquième.
Juan Bautista donnera son meilleur au premier, grassouillet et lent, malgré le vent à cet instant gênant. Belle entame élégante, relâché, un bras sur la barrière ; séries de derechazos propres et liés, trois très longs et en cadence; pechos profonds; ajustement à gauche et naturelles liées ; reprend la droite, pour deux séries inversées qui portent sur le public; épée al encuentro résultant basse; deux oreilles. Oui deux, incompréhensibles, tant le tout, propre d’exécution, manque de profondeur. Juan Bautista sera fuera de cacho pratiquement tout le long de la faena, abusant du pico, la muleta à la hanche, se dispensant d’aller chercher le toro. Oui, deux oreilles d’Arles!
Castella offre son premier en silence à un proche décédé, levant sa muleta au ciel, puis se signe. Passes de bandera à la talanquera, en dépit du vent et sans bouger, puis trois très grands derechazos lentissimes suivis de deux autres, interminables et d’une lenteur inouïe. C’est tout l’inverse de Juan Bautista : Castella tend la muleta devant, se croise, charge la suerte, les jambes écartées, force sur la bête : il torée. Hélas ce trasteo a vite fait d’épuiser le toro qui a donné son meilleur et n’a plus rien à gauche. Un quart d’épée et….quatre descabellos…
Juan Bautista devant un adversaire qui cahote après la pique. A nouveau des pechos supérieurs, la taille s’enroulant au passage, et pas grand chose de plus. Son peon de confiancia lui hurle, depuis le burladero, de lier les passes. L’autre s’exécute. Le manque d’inspiration est navrant avec un adversaire, sans grand intérêt certes, mais qui peut servir, comme la cuadrilla s’efforce de l’en convaincre. Les naturelles seront tout sauf le nom qu’elles portent :raides, amidonnées, extorquées une à une sous les injonctions de la cuadrilla qui s’occupe du torero comme d’un novillero. Puis Juan Bautista plante, un peu solennel, son épée dans le sol pour dessiner des manoletinas al natural, la muleta tenue par l’étoffe. Cela sent le préparé et je m’ennuie.
Le quatrième de la course ressemble enfin à un toro, joli de trapio, pas plus lourd que les autres (500 kgs), mais avec de belles cornes.Violent, il se rue deux fois, seul ou presque, sur le cheval du piquero qu’il bouscule avec énergie. La tête haute, il défie les banderillos, qui n’en peuvent mais et les gradins déplorent le sorteo de Castella. Mais celui-ci, calme et sûr, fait face et torée par doblones, puis, avec aguante, par derechazos. Le toro rue violemment devant le torero impassible, sûr de son fait et de sa technique, ne consentant rien au violento, ni un pas en arrière. Olé torero. Une entière, une oreille, fêtée plus que les deux de Juan Batista, par un public un peu surpris, mais qui a vu Castella dans un registre torero de verdad. La vuelta n’en finit pas, ni les applaudissements, et le salut au centre de la piste dégage une rare émotion, comme la résurrection d’un torero.
Le cinquième, offert par Juan Bautista à Sébastien, s’engagera peu à la muleta et le torero pas davantage en dépit d’une belle entame à genoux, avec beau changement de main. Triste faena dans le vent et le silence.
Le sixième, 540 kgs affichés, et de peu de cornes, est offert par Castella au public. D’une grande noblesse et d’une charge inlassable, il servira une faena aérée, cadensée, mais aussi profonde – et là est la nouveauté du Castella 2009. Appelé depuis le toril jusqu’au centre pour une passe du cambio, il s’engouffrera six fois, sept fois peut-être dans la muleta que le torero lui offre, immobile, à ses pieds, avant de dessiner un pecho tout de douceur. La musique retentit ; elle ne cessera plus. Castella a le sitio, la distance, le rythme et, ce jour devant ce toro- là, une profondeur qui lui fait très heureusement retarder le moment du pendule, des passes à l’envers et des tres en uno. Changements de main allurés, trincheras suaves, cette étoffe et ce toro se cherchent, se trouvent, s’enlacent, se quittent, reviennent sans que nul ne s’en lasse. Cela pourrait durer des heures, des jours. On salive de bonheur, de tant d’aisance du torero et de noblesse de son adversaire. Deux oreilles, vuelta au toro (qui n’avait cependant pas manifesté de grandes qualités de bravoure à la pique) et une fête immense pour le triomphateur.
A l’issue de ce mano a mano, Castella à nouveau m’intéresse.
Samedi (Le juli, Perrera, Daniel Luque) reportée au lendemain midi,
pour cause de pluie, sera finalement annulée au même motif.
Arles, dimanche 12 avril 2009
Miurada pour Juan José Padilla, Rafaelillo, et Julien Lescarret.
Six Miuras de cinq ans et demi (nés en décembre 2003 ou janvier 2004) de 620 kgs (2 ex) à 680 (un à 670, l’autre à 680).
Les deux premiers avec de regrettables signes de faiblesse, la plupart malléables, avec noblesse (les 1, 2 et 4) et caste (le 4). Les 3 et 5 prennent trois belles piques chacun.
Julien Lescarret torée pour la première fois des Miuras. Sa taille de jockey suffit à dire le challenge et il tombe, le pauvre, sur un andarin, armé et très haut, et qui le restera malgré trois puissantes piques. A la muleta, il se fait manger le terrain à droite. C’est pire à gauche et un désarmé signe l’échec d’un torero trop jeune devant un tel adversaire.
Le toro marche, ne cesse de marcher, ne quittant pas le torero des yeux, marche sur lui, et l’autre ne peut rien. Il s’apprête puis recule, et recule encore. Jusqu’à ce qu’instruit par sa cuadrilla ou comprenant de lui-même, il aille se placer à l’autre bout de l’arène d’où il cite le fauve. Le toro alors court vers lui, qui fait face à la charge et livre sa première passe, embarque le fauve, le tenant enfin. Ayant tiré avantage de ce qui jusqu’alors le menaçait, le jeune torero reprend un peu confiance. C’est déjà trop, et il se fait accrocher, tombant à la renverse. Hébété, il retrouve le péonage qui lui verse de l’eau sur la nuque, comme on le fait à un boxeur groggy.Il quitte alors sa veste de lumières et c’est en gilet et bras de chemise, comme un jeune communiant, qu’il repart au combat. Le public qui avait vu le pire en silence salue alors le défi et le courage, applaudissements dans lesquels Lescarret trouve sans doute la ressource de rester dans le terrain, faisant comme il peut, mais en étant devant. La cuadrilla déborde des deux côtés du burladero pour entretenir le feu, ou se tenir prête au cas où. La foule est conquise sinon par ce combat inégal du moins par la force d’âme de Lescarret, qui, à cet instant, si petit, si gracile face à un tel danger, est comme un jeune fils que l’arène entière voudrait protéger. Un geste décidé et une belle épée feront tomber une oreille que nul ne songerait à discuter. Lescarret exulte, tend les bras vers la foule, ivre de peur ou de délivrance. Son péon, Frédéric Leal, s’avance vers lui, le prend affectueusement dans les bras et lui caresse les cheveux, dans un geste de mère. La vuelta est intense, et aux spectateurs qui lui demandent de leur lancer le trophée, il rit sans gêne ni regret, mettant l’oreille sur le coeur pour signifier à tous :“Ah, non! Celle-là je la garde!”.
Son second combat sera moins émouvant. Il en sort vivant et son toro mort. On en crierait de joie.
Rafaelillo m’a beaucoup plu. D’un grand engagement tant à la cape qu’à la muleta, il accomplira un beau trasteo devant son premier, faible et noble, auquel il tirera une série à l’envers ce qui paraît blasphème à mon voisin (“Un Miura, ça ?”). Son second (le cinquième de la course) sera un Miura comme les aime mon voisin. Trois grosses piques, redoutable à droite comme à gauche. Rafaelillo le tient, le soumet et le torée. Seule la maladresse à l’épée le privera de trophée.
Juan José Padilla, comme d’habitude, fait le spectacle. Sa manière paillarde, goulue, rabelaisienne, de se tenir dans l’arène fait le bonheur des foules. Très décidé à la cape sur chacun de ses toros en gagnant du terrain, il sera inégal aux banderilles. Au 4ème, une entame de rodillas (8 passes avant le pecho en gagnant le centre, glissant sur la piste comme un saurien d’avant l’histoire) mettra le public en ébullition, lequel réclamera deux oreilles, sans doute pour faire payer à la présidence le refus de faire jouer la musique durant la faena. Pas bégueule, la présidence les accordera.
Arles, lundi 13 avril 2009,
Victorino Martin pour Antonio Ferrera, Le Cid et Mehdi Savalli
Lot assez homogène de présentation, de 500 à 550 kgs, de cinq ans et demi pour cinq d’entre eux, bien dans le type. Prennent, le plus souvent en poussant sans force ni violence, deux piques, la seconde moyenne. Donnent beaucoup de jeu les 1, 6, et 3. Le lot du Cid, tardo, de peu de charge, coupe et cherche l’homme.
On était venu voir Le Cid, le meilleur torero sur cette ganaderia, et ont repart avec Mehdi Savalli pour triomphateur.
Antonio Ferrera qui a tiré le meilleur lot -et de loin- s’est montré comme à l’accoutumée d’une grande vulgarité, ne toréant ni de cape ni de muleta, constamment fuera de cacho, toréant systématiquement du pico, quelque fois plié en deux : le toro passe, suit l’étoffe tendue à bout de bras, l’homme ne pèse rien. (Un voisin de tendido : “Il allonge mais il ne donne rien. Il ne donne vraiment rien : c’est le Livret A de la Caisse d’Epargne”). Il échouera même aux banderilles, ne parvenant pas à planter la dernière paire à son premier combat.
Le Cid est méconnaissable devant deux toros sans doute difficiles mais qu’il aurait su, otro dia, mettre à sa main. A noter qu’il offre son premier au public ; la difficulté ne devait pas être d’évidence …Précautionneux, et peu sûr de lui, il abrégera deux fois, à la grande incompréhension du public. Se détachent cependant, de ce jour sans, deux véroniques de réception et une demi à son premier d’une douceur diabolique.
Mehdi Savalli a été parfait de bout en bout. Dominateur à la cape, la jambe dans le terrain, le corps penché en oblique, le menton dans le jabot et l’épaule souveraine, il a dessiné des véroniques d’estampe à ses deux toros. S’appliquant à mettre en suerte ses adversaires pour la pique dans des recortes plein de toreria , pour faire régaler le public. Plein d’aguante aux banderilles, dès le premier toro de Ferrera qui s’arrête soudain dans sa course ; l’autre ne bouge pas, fait front et plante. Une jolie paire al violin au troisième, la seconde paire supérieure à son dernier.
Et à la muleta, me direz-vous? Mais c’est qu’à l’alegria torera qu’on lui connaissait jusqu’alors, le maestro ajoute une tête bien faite et des recours largement supérieurs à ceux qu’on lui prêtait! A son premier de grande caste, il se montre sûr, un peu avisé d’abord, mais pour se croiser ensuite, manifestant savoir faire et aguante pour rester dans le terrain, même si le toro, puissant, ne concède que peu de choses. La démonstration est loin d’être parfaite, mais les progrès sont considérables.
Le dernier de la course révélera le nouveau Medhi. Relâché, un bras sur la talanquera, il donne deux passes puis, un genou en terre, trois autres de très belle facture, qui châtient cependant sans doute trop le toro, déjà un peu faible. Puis ce seront des séries liées, en cadence, l’attitude parfaite du torero a gusto, à droite comme à gauche, laissant voir, sur ce côté, un poignet qu’on ne lui connaissait pas. Le tout de très bon goût, une allegria et un inattendu qui emballent la place, peu regardante au bajonazo. Deux oreilles.
Ce Mehdi Savalli là – désormais dirigé par Denis Loré- est comme le renouvellement d’une promesse qui, depuis son alternative, se faisait attendre. On sort de l’arène, heureux de son succès, espérant le revoir au plus vite. La grande et belle surprise de cette feria, avec la résurrection de Castella.
N.B: Mes voisins de tribunes qui n’auront eu de cesse de faire des allusions aux origines de Medhi – “Qu’il est bronzé celui-là” ; “S’il ne fait pas mieux que les autres, il lui reste au moins les ballots de shit à transporter”; “Oh putain, qu’ece-qui- fout cui-là. On n’est pas dans les quartiers Nord [de Marseille]!”- se rendront finalement, dans leur style : “ Eh ben putain, si on m’avait dit que je serais obligé d’applaudir un Arabe”.