Féria de Pentecôte 2008
Jeudi 8 mai 2008- Javier Conde, El Juli (en remplacement de José Tomas, blessé) et Sébastien Castella -toros de Garcigrande (de Salamanque).
Après-midi comme Simon Casas, le directeur des arènes, l’avait organisée en annonçant une “ corrida de gala”, c’est-à-dire rien d’autre qu’un festival, une idée de corrida, des effluves de corrida, peut-être un souvenir de corrida, mais tout sauf un combat normalement fait d’attente, de domination et de feintes jusqu’à révéler la pépite, comme des silex finissent par donner le feu.
Arènes combles, pavoisées d’oriflammes dessinées par le peintre VIALLAT, banda de musique très en forme, public bon enfant et qui se fait une fête de tout, y compris de ces petits toros anovillados (quatre d’entre eux de moins de 475 kilos, les deux plus lourds à 513 et 514) aux armures outrageusement accommodées ainsi que d’une présidence qui distribuera 8 oreilles et une queue à l’avenant.
Là est le plus grave. Le palco est le seul à pouvoir -et devoir- garantir le standard d’évaluation, l’échelle de notation, la valeur d’un combat, lidia ou faena, non pour priver méchamment le public de son désir goulu de triomphes, mais pour assurer la qualité du spectacle, celui du jour et celui des jours qui suivront, sans s’abandonner à l’effet d’un moment sur la foule, comptable qu’il est de la pérennité du toreo, de son intégrité comme de ses exigences, et de la respectabilité de la plaza.
Javier Conde dans un magnifique habit étain, blanc et argent, cravate sang sur gilet ceinturé de vert, recevra son premier par de belles véroniques très templées. L’insigne faiblesse de son toro qu’il croit cependant devoir offrir au public ne lui permettra rien de notable. A signaler cependant quelques jolies passes douces quand, alors qu’il s’apprêtait à aller saluer la présidence la montera en mains, le toro fonce sur lui ; d’autres auraient laisser oeuvrer leur péon, à deux pas ; lui, torée déjà, sans souci du protocole, ne se bornant pas à se libérer de cette charge inattendue d’un recorte, mais réalisant une série complète, jolie improvisation torera, avant de reprendre sa marche vers le palco, comme si de rien n’était.
Le second est pour El Juli. Faible aussi mais se reprenant mieux à la troisième série de banderilles. El Juli, dans une belle leçon de professionnalisme, l’aspire doucement dans sa muleta, sans jamais le contraindre, par des passes suaves qui redonnent confiance au bestiau, très noble mais fragile. Une trinchera devant ce “novillo” devient, à son poignet, non plus la passe dérobée qui contraint le fauve en le laissant interdit au pieds du torero mais une caresse lente et affectueuse, le geste d’une mère pour son enfant malade. Est-ce ce geste? Est-ce le tout? Le convalescent va mieux et sa charmante noblesse trouve à s’employer dans deux séries de derechazos liés, templés et rythmés. Les naturelles sont dessinées et infiniment douces. Le toro retrouve du piquant dans cet enchantement, dont El Juli profite dans trois séries de tres en uno qui vont comme le toro désormais a mas. A la première série de passes en rond, El Juli, orgueilleux du prodige de ses soins sur la vitalité de son partenaire, lève le bras vers le ciel, dans un geste curieux et beau, de remerciement et de grâce rendue au cours des choses. Et il est vrai que cette allegria du toro retrouvé paraît tenir du miracle. Le Juli veut encore achever la démonstration en tuant, comme on le fait quelquefois pour des toros de grande classe, al recibir, immobile face à son toro qui, en chargeant l’homme, vient se ficher sur l’épée. Mete y saca à la première tentative. Entière concluante à la seconde qui soulève le gradin d’enthousiasme. Deux oreilles(!) pour cette résurrection d’un petit toro noble et mal fichu qui a cependant révélé un bon comportement.
Sébastien Castella, lui, lassera devant un toro colorado de même calibre, bien reçu à la cape, et en dépit d’un joli début de faena à sa façon, citant de loin pour deux passes de cambio. La suite manquera nettement d’intérêt, placement commode, muleta quasi systématiquement crochetée, tres en uno en veux-tu en voilà, et bajonazo d’effet rapide qui fera illusion sur le public, lequel réclamera cependant récompense. Deux oreilles inattendues que le torero, conscient de la niaiserie de la présidence, aura la juste idée de ne pas exhiber durant sa vuelta. J’aime bien qu’il en ait lancé une à une spectatrice en fauteuil roulant, au premier rang des premières.
Javier Condé reçoit son toro sans cornes avec aisance et belleza à la cape. Faut-il encore dire sa toreria au capote, lorsqu’il est confiant…. Oh, nul ne plaidera avec conviction qu’il s’agit d’un combattant. Il ne l’est pas, et d’ailleurs est tout sauf cela. Mais à la différence de beaucoup d’autres, il est également tout sauf un “pega passes”. A la cape, il a peur ou il torée. Il achève sa série de véroniques par une larga dans laquelle il s’enveloppe, comme une demi-chicuelina, dans un geste outré, baroquissime, qui supplicie le toro en faisant rugir la plaza.
Sa faena un peu précautionneuse au début donnera à voir quelques beaux gestes de la casa parmi lesquels une passe en rond interminable, la main gauche relâchée sur le dos du toro, comme dans une douce étreinte. A l’épée, le geste est sûr et décomposé, mais le fer mal placé. Le bajonazo fera illusion et le ballet du torero aussi. 2 oreilles dépourvues de sens pour ce slow du bellâtre avec la vilaine.
El Juli a décidé de ne pas s’employer du tout avec ce toro décasté qui marche en crabe et se réserve. Une démonstration d’infirmière suffit bien assez!!!
Enfin, Sébastien nous éblouit sous un ciel gris. D’abord volontaire et gracieux à la cape, sa faena sera un monument d’aguante et d’inspiration, trouvant d’emblée le sitio, liant les passes, donnant de l’air au toro, puis réduisant le terrain avec une souveraine aisance dans d’intermibales tres en uno, passes en rond ou à l’envers où les pieds toujours rivés au sol, d’un changement de main dans le dos, il appelle encore et encore la bête, lui interdisant le repos en lui offrant de nouvelles charges, des parcours inattendus, un surcroît de jeu. C’est un peu Paco Ojeda mais sans cette illusion d’hypnotisme qui nous rendait fou. C’est un peu Talavante ou José Tomas mais sans mise en scène de soi. A vec Sébastien, le toro est vraiment dans le jeu, le terrain réduit à l’extrême. Le torero est brillant, sans anéantir son adversaire et sans jamais tirer parti d’un danger qu’il faudrait encore souligner. Non pas la démonstration de la domination, mais celle du jeu aéré qu’elle autorise, qui irait de soi, qui, par élégance, tairait ses secrets, sa marque de fabrique et son orgueil pour délivrer seulement l’enchantement musical d’un petit prodige. Deux oreilles (plus que méritées) et la queue, que l’on peut ne pas chipoter.
Nîmes, vendredi 9 mai 2008
Puerto de San Lorenzo pour Juan Bautista, Miguel Angel Perera et Talavante
Juan Bautista regular, Talavante décevant mais possédé, bon Miguel Angel devant son second dans une faena cumbre et facile, tirant parti avec grande aisance de la très longue charge du noble du Puerto de San Lorenzo.
Juan Bautista n’a pas convaincu devant son premier faible et cahotant qu’il a cru incompréhensiblement devoir offrir au public, lequel le sifflera après une tentative al recibir, une demi et quatre descabellos. A son second, plus vif, il dessinera des séries allant a mas, liant les derechazos, d’abord un peu courts puis en allongeant le bras, avant de changer de main et … de la perdre en se faisant ballader où le toro veut bien. Reprend l’épée et tue d’un très beau geste, offert, décomposé à la seconde tentative. Légèrement caida.
Talavante voulait sans doute beaucoup, venant d’emblée au quitte sur le premier toro de Juan Bautista dans une competencia de bon augure, mais ne maîtrisera pas parfaitement le sien, qui vient bien à la pique et renverse la cavalerie. Il se fera crocheter à plusieurs reprises la muleta, un peu chiffonnée ce jour. Une série de naturelles parfaite rappelle cependant l’agilité de son poignet et l’aisance de sa main gauche. Il tente de ce côté de réduire le terrain mais, profilé et toréeant du pico, il n’y parvient pas. Grande déception.
Il faudra les protestations du public qui a son second lui refuse la musique dont la présidence le récompensait généreusement pour que le torero soit appelé à de plus fortes exigences.
Alors, près des tablas, piqué d’orgueil, il avance à petits pas, tout près de la corne. Puis entre les cornes. Puis au-delà de l’autre corne, pour toréer comme il sait le faire, en se plaçant dans des terrains inouïs qui défient l’entendement et hypnotisent la foule comme si à chacun de ses gestes, réduits au minimum mais au-delà de la ligne du sacrifice, on attendait, interdit, que le destin frappe l’enfant qui gambade dans un champ de mines.
Cette deuxième moitié de faena n’est plus un combat, c’est une attente angoissée face aux cornes, la respiration suspendue que nulle passe ne libère car quelques pas de plus du torero annoncent déjà une autre passe, plus serrée, plus éprouvante. On ne sait s’il convient d’applaudir le torero, on ne sait plus d’ailleurs si l’on en a bien envie, s’il s’agit d’une fête ou d’un suicide, d’un jeu à deux ou de la prouesse folle, opiniâtre et déraisonnée d’un trapéziste sans filet, d’un “joueur” à la roulette russe. Le public, taisant d’effroi, se libère à la mort et réclame une oreille, attribuée.
Miguel Angel Perrera tombera lui aussi sur un premier toro faiblissime et cahotant, sans intérêt. Son second, plus vif et pratiquement pas piqué, lui permettra une faena de son cru, dans le sitio, à juste distance, liée et templée à l’infini, surtout à droite. Dans un terrain réduit, et après une entame saisissante de passes de cambio liées à des derechazos et à un pecho, il dessinera successivement des cercles concentriques où le toro s’engouffre sans se lasser, dominé par un bras de plus en plus long, mis en valeur par un geste de plus en plus lent, comme si tout cela ne devait jamais s’arrêter. Cette faena est belle mais manque un peu d’imagination. Faite de passes en rond répétées, elle distille à la force un brin d’écoeurement vasarellien, qui au demeurant ne frappe pas le palco, lequel accorde deux oreilles.
Nîmes, samedi 10 mai, matin
Zalduendos aplomados, faibles ou sans charge (à la seule exception du troisième) par matinée de grosse chaleur et sous un soleil de plomb pour Enrique Ponce, Sébastien Castella et Cayetano.
Il est d’usage désormais, à Nîmes, d’applaudir Enrique Ponce dès la fin du paseo. On ne se souvient plus très bien pourquoi. Il n’a jamais été “le” torero de Nîmes comme l’avaient été en leur temps Paco Ojeda qui avait signé ici ses plus grands triomphes, ou Emilio Munoz dont le club taurin a si longtemps enflammé les nuits de la feria nîmoise, ou encore Joselito que l’aficion locale a toujours attendu avec patience et respect, lui ayant offert mano a mano ou un contre six, aux résultats souvent aléatoires mais dont aucun n’a déprécié le cartel. Non, avec Ponce, ce serait sans doute plutôt l’inverse. On l’applaudit par remords de l’avoir fait si tard, quand l’aficion, partout ailleurs, rendait des hommages tonitruants à sa régularité, à son beau cartel de torero de transition, de basse époque, la mine triste et la muleta large, savant et valeureux, sans doute, mais sans vraie profondeur, sans romantisme, étranger à l’épopée et complètement dépipolisé.
Ses très grands triomphes, ailleurs qu’à Nîmes, dans sa deuxième partie de carrière, et peut-être surtout la tardive reconnaissance sévillane en avril 2005, ont libéré ses fans d’ici et nourrit les scrupules des autres. Le torero reprenait des couleurs, sa longévité lui donnait une patine nouvelle, comme ces rois sans gloire des temps anciens que l’histoire a finalement récompensés pour leur long règne sans crime.
Alors chaque matin quand il est au cartel (car ici, il ne l’est plus depuis des années l’après-midi), on l’applaudit chaleureusement, quelques uns se lèvent, il appelle ses compagnons à le rejoindre….On applaudit encore, puis on se rassoit.
Le sort lui a offert ce jour un premier toro de peu de charge, qu’il conduira au centre en cinq passes parfaites d’exécution, avant de toréer du pico dans une faena d’infirmier dont ne se détachera qu’une série de naturelles très étirées mais superficielles (une oreille!) et un second a peu près invalide.
Voir Castella deux corridas de suite est un peu éprouvant, sauf le plaisir de retrouver le plus souvent possible son péon Curro Molina tant à la brega qu’aux banderilles, souverain torero qui n’a de subalterne que le grade. Jolie entame de faena toujours pareil (passes de cambio au centre, trinchera, pecho), puis cites de loin pour deux belles séries droitières qui épuisent la bête. Le toro s’avise, le torero aussi, à gauche : la faena va a menos. Une belle épée conclusive et la bête qui lutte contre la mort arrachent deux oreilles au public que le palco suit incompréhensiblement. Trasteo pénible à son second sous une très grosse chaleur, muleta crochetée, torero mal placé. Sébastien manque de sitio ce jour.
Cayetano m’a en revanche enthousiasmé. Un torito noble et de bonne charge sera le partenaire inlassable d’une faena variée, fleurie, printanière. Enchaînements heureux et insoupçonnés (une passe par le bas le genou ployé, un molinète “récupérateur” et un pecho où le toro s’enroule, la tête haute, autour de la taille du torero qui s’en libère interminablement) ; naturelles douces et templées où la muleta caresse le sol et le toro à la fois ; les plus beaux derechazos du cycle et l’élégance des passes par le bas et des trincheras finales. Ce n’est plus un combat, c’est une aquarelle de toreo. Une fantaisie musicale. Légère, aérienne, sans souci de peser. Des bulles de champagne pour une fête réussie. Cette manière de faire à ce point étrangère au souci de domination a son écueil : le toro dont la noblesse et la bonne caste ont permis une telle faena a encore du jus au moment de la mort ce qui privera Cayetano de réussite à une tentative al recibir. Une entière non concluante et deux descabellos interdisent tout trophée. Le souvenir sera le seul écrin de cette faena brillante, poésie enfouie sous un fatras de mémoire, mais dont un futur bonheur ressuscitera les rimes.
Son second toro, faiblissime, ne permettra pas grand chose à la muleta mais les véroniques templées un genou en terre et une demi où la cape se replie comme une fleur le soir venu nous laissent espérer tous les autres matins.
Nîmes, dimanche 11 mai, matin
Deux Juan Pedro Domecq de charge allègre, le premier très noble, le deuxième s’avisant un peu en fin de faena pour Juan Bautista, El Cid et Manzanares qui, hélas, héritera d’un lot de deux invalides.
Juan Bautista sera facile -à tous les sens de l’expression- face à son premier tant à la cape- parones, larga allurée, un festival de douceur au novillo (490 kgs)- qu’à la muleta, offert au public- noble et avec un brin de jus-, citant de loin, une fois, deux fois, trois fois, le toro s’embarquant avec alegria dans chacune des séries. Le torero, plus varié qu’à l’accoutumée, profite de son adversaire, d’assez grande classe, mal tué- tentative al recibir, pinchazo, entière al encuentro– mais récompensé d’une vuelta. Juan Bautista salue au centro, déçu.
Les encouragements de ses péones, sur son second, les seuls de l’arène à crier “olé” pour lui donner du coeur après sa déception initiale, sont le seul point notable de la faena du torero sur le quatrième, court de charge et décasté. Joli geste à l’épée qui résulte cependant trasera.
Le Cid, relaché, la main basse, lie les passes à droite, avec rythme et belleza. Changement de mains, pecho de grande ampleur, le toro n’en peut plus et s’avise en cours de faena, qui va dès lors a menos. Son second très faible fléchit dès l’entrée. Tentatives de toreo doux pour invalide, sur le voyage, sans contrainte possible. Le toreo reste élégant et appliqué, quelques naturelles de belle façon. Un kirikiki confus et trois pinchazos.
Rien qui vaille des deux invalides échus à Manzanares.
Nîmes, dimanche 11 mai après-midi
4 Miuras, et deux Garcia Tabernero. Les leçons d’El Fundi, le courage de Rafaelillo et le bonheur dans le pré de Juan-José Padilla. Il faut bien voir de temps en temps une Miurada, mais pas de quoi en faire une histoire. La leur paraît révolue.
Nîmes, lundi 12 mai après-midi
Corrida mixte avec Pablo Hermoso de Mendoza devant des Guitterez-Lorenzo et Le Juli et Miguel Angel Perera devant des Jandilla
Pas pris de notes et trois mois plus tard ne me souviens de rien. Sans doute l’Alzheimer…. Il me semble qu’il pleuvait, que les toros -parados- et plus encore Le Juli ont déçu et que Perera a coupé une oreille à l’issue d’une faena immobile devant un toro qui l’était aussi. Je suis allé m’abrité pendant le cheval…
Féria de Pentecôte 2008
Jeudi 8 mai 2008- Javier Conde, El Juli (en remplacement de José Tomas, blessé) et Sébastien Castella -toros de Garcigrande (de Salamanque).
Après-midi comme Simon Casas, le directeur des arènes, l’avait organisée en annonçant une “ corrida de gala”, c’est-à-dire rien d’autre qu’un festival, une idée de corrida, des effluves de corrida, peut-être un souvenir de corrida, mais tout sauf un combat normalement fait d’attente, de domination et de feintes jusqu’à révéler la pépite, comme des silex finissent par donner le feu.
Arènes combles, pavoisées d’oriflammes dessinées par le peintre VIALLAT, banda de musique très en forme, public bon enfant et qui se fait une fête de tout, y compris de ces petits toros anovillados (quatre d’entre eux de moins de 475 kilos, les deux plus lourds à 513 et 514) aux armures outrageusement accommodées ainsi que d’une présidence qui distribuera 8 oreilles et une queue à l’avenant.
Là est le plus grave. Le palco est le seul à pouvoir -et devoir- garantir le standard d’évaluation, l’échelle de notation, la valeur d’un combat, lidia ou faena, non pour priver méchamment le public de son désir goulu de triomphes, mais pour assurer la qualité du spectacle, celui du jour et celui des jours qui suivront, sans s’abandonner à l’effet d’un moment sur la foule, comptable qu’il est de la pérennité du toreo, de son intégrité comme de ses exigences, et de la respectabilité de la plaza.
Javier Conde dans un magnifique habit étain, blanc et argent, cravate sang sur gilet ceinturé de vert, recevra son premier par de belles véroniques très templées. L’insigne faiblesse de son toro qu’il croit cependant devoir offrir au public ne lui permettra rien de notable. A signaler cependant quelques jolies passes douces quand, alors qu’il s’apprêtait à aller saluer la présidence la montera en mains, le toro fonce sur lui ; d’autres auraient laisser oeuvrer leur péon, à deux pas ; lui, torée déjà, sans souci du protocole, ne se bornant pas à se libérer de cette charge inattendue d’un recorte, mais réalisant une série complète, jolie improvisation torera, avant de reprendre sa marche vers le palco, comme si de rien n’était.
Le second est pour El Juli. Faible aussi mais se reprenant mieux à la troisième série de banderilles. El Juli, dans une belle leçon de professionnalisme, l’aspire doucement dans sa muleta, sans jamais le contraindre, par des passes suaves qui redonnent confiance au bestiau, très noble mais fragile. Une trinchera devant ce “novillo” devient, à son poignet, non plus la passe dérobée qui contraint le fauve en le laissant interdit au pieds du torero mais une caresse lente et affectueuse, le geste d’une mère pour son enfant malade. Est-ce ce geste? Est-ce le tout? Le convalescent va mieux et sa charmante noblesse trouve à s’employer dans deux séries de derechazos liés, templés et rythmés. Les naturelles sont dessinées et infiniment douces. Le toro retrouve du piquant dans cet enchantement, dont El Juli profite dans trois séries de tres en uno qui vont comme le toro désormais a mas. A la première série de passes en rond, El Juli, orgueilleux du prodige de ses soins sur la vitalité de son partenaire, lève le bras vers le ciel, dans un geste curieux et beau, de remerciement et de grâce rendue au cours des choses. Et il est vrai que cette allegria du toro retrouvé paraît tenir du miracle. Le Juli veut encore achever la démonstration en tuant, comme on le fait quelquefois pour des toros de grande classe, al recibir, immobile face à son toro qui, en chargeant l’homme, vient se ficher sur l’épée. Mete y saca à la première tentative. Entière concluante à la seconde qui soulève le gradin d’enthousiasme. Deux oreilles(!) pour cette résurrection d’un petit toro noble et mal fichu qui a cependant révélé un bon comportement.
Sébastien Castella, lui, lassera devant un toro colorado de même calibre, bien reçu à la cape, et en dépit d’un joli début de faena à sa façon, citant de loin pour deux passes de cambio. La suite manquera nettement d’intérêt, placement commode, muleta quasi systématiquement crochetée, tres en uno en veux-tu en voilà, et bajonazo d’effet rapide qui fera illusion sur le public, lequel réclamera cependant récompense. Deux oreilles inattendues que le torero, conscient de la niaiserie de la présidence, aura la juste idée de ne pas exhiber durant sa vuelta. J’aime bien qu’il en ait lancé une à une spectatrice en fauteuil roulant, au premier rang des premières.
Javier Condé reçoit son toro sans cornes avec aisance et belleza à la cape. Faut-il encore dire sa toreria au capote, lorsqu’il est confiant…. Oh, nul ne plaidera avec conviction qu’il s’agit d’un combattant. Il ne l’est pas, et d’ailleurs est tout sauf cela. Mais à la différence de beaucoup d’autres, il est également tout sauf un “pega passes”. A la cape, il a peur ou il torée. Il achève sa série de véroniques par une larga dans laquelle il s’enveloppe, comme une demi-chicuelina, dans un geste outré, baroquissime, qui supplicie le toro en faisant rugir la plaza.
Sa faena un peu précautionneuse au début donnera à voir quelques beaux gestes de la casa parmi lesquels une passe en rond interminable, la main gauche relâchée sur le dos du toro, comme dans une douce étreinte. A l’épée, le geste est sûr et décomposé, mais le fer mal placé. Le bajonazo fera illusion et le ballet du torero aussi. 2 oreilles dépourvues de sens pour ce slow du bellâtre avec la vilaine.
El Juli a décidé de ne pas s’employer du tout avec ce toro décasté qui marche en crabe et se réserve. Une démonstration d’infirmière suffit bien assez!!!
Enfin, Sébastien nous éblouit sous un ciel gris. D’abord volontaire et gracieux à la cape, sa faena sera un monument d’aguante et d’inspiration, trouvant d’emblée le sitio, liant les passes, donnant de l’air au toro, puis réduisant le terrain avec une souveraine aisance dans d’intermibales tres en uno, passes en rond ou à l’envers où les pieds toujours rivés au sol, d’un changement de main dans le dos, il appelle encore et encore la bête, lui interdisant le repos en lui offrant de nouvelles charges, des parcours inattendus, un surcroît de jeu. C’est un peu Paco Ojeda mais sans cette illusion d’hypnotisme qui nous rendait fou. C’est un peu Talavante ou José Tomas mais sans mise en scène de soi. A vec Sébastien, le toro est vraiment dans le jeu, le terrain réduit à l’extrême. Le torero est brillant, sans anéantir son adversaire et sans jamais tirer parti d’un danger qu’il faudrait encore souligner. Non pas la démonstration de la domination, mais celle du jeu aéré qu’elle autorise, qui irait de soi, qui, par élégance, tairait ses secrets, sa marque de fabrique et son orgueil pour délivrer seulement l’enchantement musical d’un petit prodige. Deux oreilles (plus que méritées) et la queue, que l’on peut ne pas chipoter.
Nîmes, vendredi 9 mai 2008
Puerto de San Lorenzo pour Juan Bautista, Miguel Angel Perera et Talavante
Juan Bautista regular, Talavante décevant mais possédé, bon Miguel Angel devant son second dans une faena cumbre et facile, tirant parti avec grande aisance de la très longue charge du noble du Puerto de San Lorenzo.
Juan Bautista n’a pas convaincu devant son premier faible et cahotant qu’il a cru incompréhensiblement devoir offrir au public, lequel le sifflera après une tentative al recibir, une demi et quatre descabellos. A son second, plus vif, il dessinera des séries allant a mas, liant les derechazos, d’abord un peu courts puis en allongeant le bras, avant de changer de main et … de la perdre en se faisant ballader où le toro veut bien. Reprend l’épée et tue d’un très beau geste, offert, décomposé à la seconde tentative. Légèrement caida.
Talavante voulait sans doute beaucoup, venant d’emblée au quitte sur le premier toro de Juan Bautista dans une competencia de bon augure, mais ne maîtrisera pas parfaitement le sien, qui vient bien à la pique et renverse la cavalerie. Il se fera crocheter à plusieurs reprises la muleta, un peu chiffonnée ce jour. Une série de naturelles parfaite rappelle cependant l’agilité de son poignet et l’aisance de sa main gauche. Il tente de ce côté de réduire le terrain mais, profilé et toréeant du pico, il n’y parvient pas. Grande déception.
Il faudra les protestations du public qui a son second lui refuse la musique dont la présidence le récompensait généreusement pour que le torero soit appelé à de plus fortes exigences.
Alors, près des tablas, piqué d’orgueil, il avance à petits pas, tout près de la corne. Puis entre les cornes. Puis au-delà de l’autre corne, pour toréer comme il sait le faire, en se plaçant dans des terrains inouïs qui défient l’entendement et hypnotisent la foule comme si à chacun de ses gestes, réduits au minimum mais au-delà de la ligne du sacrifice, on attendait, interdit, que le destin frappe l’enfant qui gambade dans un champ de mines.
Cette deuxième moitié de faena n’est plus un combat, c’est une attente angoissée face aux cornes, la respiration suspendue que nulle passe ne libère car quelques pas de plus du torero annoncent déjà une autre passe, plus serrée, plus éprouvante. On ne sait s’il convient d’applaudir le torero, on ne sait plus d’ailleurs si l’on en a bien envie, s’il s’agit d’une fête ou d’un suicide, d’un jeu à deux ou de la prouesse folle, opiniâtre et déraisonnée d’un trapéziste sans filet, d’un “joueur” à la roulette russe. Le public, taisant d’effroi, se libère à la mort et réclame une oreille, attribuée.
Miguel Angel Perrera tombera lui aussi sur un premier toro faiblissime et cahotant, sans intérêt. Son second, plus vif et pratiquement pas piqué, lui permettra une faena de son cru, dans le sitio, à juste distance, liée et templée à l’infini, surtout à droite. Dans un terrain réduit, et après une entame saisissante de passes de cambio liées à des derechazos et à un pecho, il dessinera successivement des cercles concentriques où le toro s’engouffre sans se lasser, dominé par un bras de plus en plus long, mis en valeur par un geste de plus en plus lent, comme si tout cela ne devait jamais s’arrêter. Cette faena est belle mais manque un peu d’imagination. Faite de passes en rond répétées, elle distille à la force un brin d’écoeurement vasarellien, qui au demeurant ne frappe pas le palco, lequel accorde deux oreilles.
Nîmes, samedi 10 mai, matin
Zalduendos aplomados, faibles ou sans charge (à la seule exception du troisième) par matinée de grosse chaleur et sous un soleil de plomb pour Enrique Ponce, Sébastien Castella et Cayetano.
Il est d’usage désormais, à Nîmes, d’applaudir Enrique Ponce dès la fin du paseo. On ne se souvient plus très bien pourquoi. Il n’a jamais été “le” torero de Nîmes comme l’avaient été en leur temps Paco Ojeda qui avait signé ici ses plus grands triomphes, ou Emilio Munoz dont le club taurin a si longtemps enflammé les nuits de la feria nîmoise, ou encore Joselito que l’aficion locale a toujours attendu avec patience et respect, lui ayant offert mano a mano ou un contre six, aux résultats souvent aléatoires mais dont aucun n’a déprécié le cartel. Non, avec Ponce, ce serait sans doute plutôt l’inverse. On l’applaudit par remords de l’avoir fait si tard, quand l’aficion, partout ailleurs, rendait des hommages tonitruants à sa régularité, à son beau cartel de torero de transition, de basse époque, la mine triste et la muleta large, savant et valeureux, sans doute, mais sans vraie profondeur, sans romantisme, étranger à l’épopée et complètement dépipolisé.
Ses très grands triomphes, ailleurs qu’à Nîmes, dans sa deuxième partie de carrière, et peut-être surtout la tardive reconnaissance sévillane en avril 2005, ont libéré ses fans d’ici et nourrit les scrupules des autres. Le torero reprenait des couleurs, sa longévité lui donnait une patine nouvelle, comme ces rois sans gloire des temps anciens que l’histoire a finalement récompensés pour leur long règne sans crime.
Alors chaque matin quand il est au cartel (car ici, il ne l’est plus depuis des années l’après-midi), on l’applaudit chaleureusement, quelques uns se lèvent, il appelle ses compagnons à le rejoindre….On applaudit encore, puis on se rassoit.
Le sort lui a offert ce jour un premier toro de peu de charge, qu’il conduira au centre en cinq passes parfaites d’exécution, avant de toréer du pico dans une faena d’infirmier dont ne se détachera qu’une série de naturelles très étirées mais superficielles (une oreille!) et un second a peu près invalide.
Voir Castella deux corridas de suite est un peu éprouvant, sauf le plaisir de retrouver le plus souvent possible son péon Curro Molina tant à la brega qu’aux banderilles, souverain torero qui n’a de subalterne que le grade. Jolie entame de faena toujours pareil (passes de cambio au centre, trinchera, pecho), puis cites de loin pour deux belles séries droitières qui épuisent la bête. Le toro s’avise, le torero aussi, à gauche : la faena va a menos. Une belle épée conclusive et la bête qui lutte contre la mort arrachent deux oreilles au public que le palco suit incompréhensiblement. Trasteo pénible à son second sous une très grosse chaleur, muleta crochetée, torero mal placé. Sébastien manque de sitio ce jour.
Cayetano m’a en revanche enthousiasmé. Un torito noble et de bonne charge sera le partenaire inlassable d’une faena variée, fleurie, printanière. Enchaînements heureux et insoupçonnés (une passe par le bas le genou ployé, un molinète “récupérateur” et un pecho où le toro s’enroule, la tête haute, autour de la taille du torero qui s’en libère interminablement) ; naturelles douces et templées où la muleta caresse le sol et le toro à la fois ; les plus beaux derechazos du cycle et l’élégance des passes par le bas et des trincheras finales. Ce n’est plus un combat, c’est une aquarelle de toreo. Une fantaisie musicale. Légère, aérienne, sans souci de peser. Des bulles de champagne pour une fête réussie. Cette manière de faire à ce point étrangère au souci de domination a son écueil : le toro dont la noblesse et la bonne caste ont permis une telle faena a encore du jus au moment de la mort ce qui privera Cayetano de réussite à une tentative al recibir. Une entière non concluante et deux descabellos interdisent tout trophée. Le souvenir sera le seul écrin de cette faena brillante, poésie enfouie sous un fatras de mémoire, mais dont un futur bonheur ressuscitera les rimes.
Son second toro, faiblissime, ne permettra pas grand chose à la muleta mais les véroniques templées un genou en terre et une demi où la cape se replie comme une fleur le soir venu nous laissent espérer tous les autres matins.
Nîmes, dimanche 11 mai, matin
Deux Juan Pedro Domecq de charge allègre, le premier très noble, le deuxième s’avisant un peu en fin de faena pour Juan Bautista, El Cid et Manzanares qui, hélas, héritera d’un lot de deux invalides.
Juan Bautista sera facile -à tous les sens de l’expression- face à son premier tant à la cape- parones, larga allurée, un festival de douceur au novillo (490 kgs)- qu’à la muleta, offert au public- noble et avec un brin de jus-, citant de loin, une fois, deux fois, trois fois, le toro s’embarquant avec alegria dans chacune des séries. Le torero, plus varié qu’à l’accoutumée, profite de son adversaire, d’assez grande classe, mal tué- tentative al recibir, pinchazo, entière al encuentro– mais récompensé d’une vuelta. Juan Bautista salue au centro, déçu.
Les encouragements de ses péones, sur son second, les seuls de l’arène à crier “olé” pour lui donner du coeur après sa déception initiale, sont le seul point notable de la faena du torero sur le quatrième, court de charge et décasté. Joli geste à l’épée qui résulte cependant trasera.
Le Cid, relaché, la main basse, lie les passes à droite, avec rythme et belleza. Changement de mains, pecho de grande ampleur, le toro n’en peut plus et s’avise en cours de faena, qui va dès lors a menos. Son second très faible fléchit dès l’entrée. Tentatives de toreo doux pour invalide, sur le voyage, sans contrainte possible. Le toreo reste élégant et appliqué, quelques naturelles de belle façon. Un kirikiki confus et trois pinchazos.
Rien qui vaille des deux invalides échus à Manzanares.
Nîmes, dimanche 11 mai après-midi
4 Miuras, et deux Garcia Tabernero. Les leçons d’El Fundi, le courage de Rafaelillo et le bonheur dans le pré de Juan-José Padilla. Il faut bien voir de temps en temps une Miurada, mais pas de quoi en faire une histoire. La leur paraît révolue.
Nîmes, lundi 12 mai après-midi
Corrida mixte avec Pablo Hermoso de Mendoza devant des Guitterez-Lorenzo et Le Juli et Miguel Angel Perera devant des Jandilla
Pas pris de notes et trois mois plus tard ne me souviens de rien. Sans doute l’Alzheimer…. Il me semble qu’il pleuvait, que les toros -parados- et plus encore Le Juli ont déçu et que Perera a coupé une oreille à l’issue d’une faena immobile devant un toro qui l’était aussi. Je suis allé m’abrité pendant le cheval…