Corrida des villes et corrida des champs. J’aime de plus en plus cette ville d’Arles, et Juan Bautista qui fait si bien les choses.
La Goyesque et ses fanfreluches, paillettes en piste et ruedo saturé de musique, corrida à grand spectacle qui attire un public nombreux, nouveau et jeune qui sort ravi parce que l’arène était bellement décorée, la musique formidable et les toreros soucieux que tout se passe au mieux. C’est la corrida des villes, attentive au prestige et au bien recevoir. Une vitrine de Noël, avec ses guirlandes et son goût à la fête. Et si la vitrine est belle, peu importe la marchandise. La vitrine et cette foule si nombreuse suffisent à nous combler.
Et la corrida du lendemain, avec des toros de respect face à une triade de toreros pour la plupart inemployés auxquels on donne une chance. C’est la corrida des champs, authentique, un brin austère. On n’y vient pas pour frimer. Nous sommes moins nombreux, mais notre attention n’est distraite par rien d’autre que le combat d’un homme face à un toro, ses maladresses ou son savoir-faire, son entrega ou ses facilités. L’animal y est roi, comme à la campagne. Et l’homme doit s’aligner. Cette corrida- là n’est plus un spectacle, c’est un métier.
Je dois confesser que j’aime bien les deux et qu’elles puissent coexister à deux jours d’intervalle dans la même arène. Libre à chacun de préférer être hémiplégique….
Samedi 9 septembre 2017- Goyesque- Juli, Juan Bautista, Cayetano/ Domingo Hernandez, Garcigrande
Grand spectacle et petite corrida. Di Rosa était le décorateur de l’année. Des peintures en forme de capotes de paseo éclatants de couleurs vives tout autour de l’arène et, sur la piste, la silhouette essentiellement noire, un peu picassienne, d’un torero enveloppé dans sa cape de gala, dessin un peu confus depuis ma place. On n’a jamais fait mieux jusqu’à présent que Christian Lacroix et Rudy Ricciotti, seuls à avoir compris qu’une arène étant ronde, ce qui se donnait à voir devait l’être également de tous points de la circonférence. Di Rosa, lui, paraît avoir œuvré pour la photo prise depuis la Grande Porte….
Très beaux costumes des toreros, dans un registre de gris satiné – Cayetano en bas blancs du plus bel effet- les chevaux des piqueros sans leur caparaçon lors du paseo et accompagnement musical de prestige avec l’ami Rudy – l’autre !-, sa bande Chicuelo II à son plus haut et un trompettiste soliste vénézuélien éblouissant, Pacho Flores. Dieu que c’était beau ! Presque un peu trop en deuxième moitié de corrida. Un vrai concert.
Question toros, évidemment…. Pas présentés, sans trapio, piqués pour le symbole, sans trop grande faiblesse et mobiles sur les deux premiers tiers, mais sans aucune présence ni transmission au troisième où ils s’éteignent après deux ou trois séries. Avec ça, d’une noblesse de carreton, sauf le deuxième, le moins inintéressant du lot, que Juan Bautista, sans doute contrarié par l’intrusion perlée de deux anti-taurins, torse nu, à la mort du premier, a aimablement toréé, manifestement la tête ailleurs. La responsabilité du directeur d’arène, sans doute soucieux qu’il n’y ait pas d’autres perturbateurs, pèse alors sur le torero. Et c’est bien dommage (1 oreille).
Cayetano, qui n’a certes pas eu le meilleur lot, a été transparent sur son premier adversaire. Et sa toreria sur l’entame de faena du suivant (aidées par le haut, trinchera, puis une série de derechazos, dont l’un interminable et de grand temple) est passée un peu inaperçue du public. El sabor de boca dulce s’est ensuite dissipé, on n’avait plus qu’yeux et oreilles pour ce trompettiste coruscant dont les gammes s’accordaient assez mal avec les onctueuses préciosités de Cayetano.
Et Juli a triomphé, bien sûr, d’un matériel aussi facile. Mais son aisance, sa sûreté, son entrega, la variété de son jeu tant à la cape qu’à la muleta impressionnent. Quand le quatrième est sorti en piste, ce fut un festival. Delantales somptueuses, cordobinas enjouées. Il fallait le voir ensuite au quite, citant son toro à 20 mètres, les jambes écartées, le buste rejeté en arrière, arrogant et rieur, mettant le feu à l’arène en quatre zapotinas qui ont déclenché la musique. Ce qui enthousiasme alors ? Cette insoupçonnée envie de gosse. Juli soudain, devant nous, a 16 ans, il torée si comme tout était à refaire. Comme s’il se présentait pour la première fois. Comme s’il devait vaincre encore. L’arène s’enflamme, Juli prend les banderilles qu’il partage avec Juan Bautista. Hélas, le toro se cassera une patte durant le tercio. Dans l’enthousiasme général, on le change. Le toro suivant est tout aussi insignifiant mais moins allant. Qu’importe…Rudy et sa banda nous servent une musique de péplum ou de tournoi du Moyen-Age. Juli sait entretenir le feu et comme toujours concocter la faena qui va a mas. En dépit de tout (et de ses épées), quand il sort en triomphe par la Grande Porte (1 oreille et 2 oreilles), on ne peut réprimer un sourire d’admiration.
Le public est resté longtemps dans les arènes pour écouter Rudy et la bande Chicuelo que nous ne parvenions plus à arrêter ! Un vrai maestro, ce Rudy ! Qui faisait penser un peu au Juli de tout à l’heure. Comme si c’était le premier jour, comme si tout était à démontrer. Enivré de soi, sûr de son talent. Il plane et nous avec. C’est puissance 10. LSD pour tout le monde. Il avait en grande partie sauvé la corrida lors de l’intrusion des anti-taurins en distrayant aussitôt la foule d’une belle « Coupo Santo » puis, plus curieusement, d’une « Marseillaise » dont je croyais qu’elle n’était plus qu’un chant anti-djihadiste. Et le voilà qu’il nous sert au final, « La Marche de Radetzky ». C’est « Concert du Nouvel An » pour tout le monde. Version « Sonnez trompettes !» Rudy ? Le vrai triomphateur de la tarde.
Dimanche 10 septembre- Miuras, Baltasar Iban/ Rafaelillo, Mehdi Savalli, Ruben Pinar
Revoir des toros ! Présentation, trapio, présence, caste, plusieurs applaudis à leur sortie. On peine à croire qu’ils soient de la même espèce que ceux d’hier. Deux Miuras sur 3 ( le premier était très faible) et 2 Baltasar Iban sur 3 ( le cinquième de Medhi un grand toro qui ne méritait certes pas une vuelta mais qui nous a régalé) de grand jeu, sauf aux piques, quoique le cinquième y soit venu 4 fois en galopant, de loin et merveilleusement piqué par Gabin Rehabi (sûreté, élégance, dans le morillo les quatre fois, pique rapidement levée pour ménager les forces de l’adversaire) qui a remporté le prix du meilleur piquero. Frustration de voir les tercios écourtés mais sans doute les toros n’en auraient-ils pas supporté davantage. Nobles pour l’essentiel sauf le premier Baltasar Iban, beaucoup plus exigeant.
Ce toro-là m’a plus enthousiasmé que Rafaelillo qui a dû se le coltiner. Un torero si petit face à un toro si long, le combat était inégal. Avait désarmé le torero dès les passes de réception, posé beaucoup de difficultés aux banderilleros. Un toro gorgé de caste, pas forcément de la bonne… Et que l’effort surhumain auquel le torero dût consentir, et qui lui coûte, n’améliore pas. Rafaelillo, après avoir tenté de réduire la voilure de son adversaire par des doblones puissants, ne parvient pas à allonger le bras, crie beaucoup au passage comme si la passe était longue, mais son cri se perd quand le toro s’est déjà retourné, à nouveau prêt à en découdre. Un vrai combat. Un combat comme on peut. Pas brillant, un peu frustrant pour nous autres, mais assez digne au fond. Et conclu d’une épée fulminante, justement récompensée par une oreille.
Ruben Pinar qui doit toréer, comme Mehdi, trois fois l’an, m’a paru serein, bien dans sa tête et ses zapatillas, face à son Miura. Un toreo académique, appliqué, plus technique que je l’aurais imaginé, sérieux, contraint de réduire les distances en fin de faena, son toro se révélant tardo, pour une porfia pleine d’aguante (oreille). Sans option sur le BI suivant.
Mehdi a vaincu dans son arène. Vaincu l’adversité et les rumeurs, le scepticisme ou l’indifférence. S’alignant au paseo sans attendre ses compagnons de cartel, fier et déjà victorieux, gorgé de la volonté d’en découdre. Bien !!!! Capote dominateur et templé de grande beauté, banderilles de verdad, allure, geste puissant, aisance absolue face à un Miura de belle présence, joueur et noble ( public debout en fin de tercio). Entame de faena par banderas, trinchera somptueuse, passes par le bas en gagnant le centre. Cite de loin pour une série de derechazos, en offre une autre puis soudain paraît douter un peu. En dépit de deux naturelles très belles et bien dessinées, la faena va a menos (saludos). Son triomphe sera sur le suivant, le Baltasar Iban à 4 piques. Faena bien conduite, construite, pleine d’allant, sérieuse et complète. Incompréhensiblement la musique réclamée par tout le monde tarde à jouer. « Nul n’est prophète…. ». La présidence finit par se raviser après une si consternante faute de goût et accorde l’oreille plus que méritée pour le torero de trente ans aux cheveux blancs….
Mehdi fait partie de la race, que j’adore, des affranchis. On sent que la convention lui importe peu et que la liberté lui est tout. Ce n’est pas si facile la liberté.…. Cela suppose beaucoup d’orgueil, le goût de la solitude, une forte personnalité et l’esprit de résistance. Ca ne fait pas bon ménage, la liberté, avec l’ordinaire, le convenu, le stéréotypé auquel le siècle nous condamne. Mais la liberté console, même dans les moments les plus éprouvants. Elle nous fait tenir. Seuls les si précoces cheveux blancs disent le reste : les doutes, les avanies, le sentiment d’injustice, la révolte tue. Mais la liberté, plus que les cheveux blancs, nous épate. Il y a du El Pana en lui. L’autre faisait le paseo dans un poncho mexicain en fumant le cigare ; Mehdi, lui, est arrivé ce jour aux arènes en habit de lumières sur la Harley Davidson de son pote ! Olé torero !